Empreinte carbone d’un livre

L’impact environnemental d’un livre, tel qu’il est souvent présenté, se résume en général à la question de la nature du papier qui le constitue : risque de déforestation, usage de produits d’impression polluants. L’introduction des nouvelles technologies alimente le débat avec un livre numérique « dématérialisé » qui serait peut-être plus économe…

Mais tous comptes bien faits, la fabrication du support, physique ou numérique, représentent-il le poste principal de l’impact d’un livre ?

Il semblerait que l’on escamote trop souvent dans l’analyse un facteur fondamental : le rôle du lecteur… Sinon on aurait vite fait de décréter, au nom de la lutte contre le changement climatique, d’interdire toute publication de livres sur l’écologie !

airvore couverture sd

L’objet de l’analyse qui suit n’est pas de rendre compte d’une étude complexe effectuée pour le compte d’un grand éditeur, encore moins sur un large panel d’ouvrages, traduits dans diverses langues et distribués dans de multiples pays.

Il s’agit plus simplement de l’évaluation de l’empreinte de l’essai Airvore écrit par Laurent Castaignède et édité par Ecosociété (1ère édition 2018, 2ème édition 2022). Cette étude n’est dès lors pas généralisable. Elle a pour objet de poser les jalons de la démarche carbone sur un exemple et d’apporter un éclairage sur le poids relatif potentiel de différents postes d’émissions.

« L’arbre que l’on coupe » cache en effet souvent une forêt d’impacts…

Périmètre d’investigation

       (chronologique, depuis les premières élucubrations de l’auteur jusqu’au rebut de tous les livres fabriqués !)

Conception

  • amortissement de la fabrication de matériel (bureau, ordinateur, imprimante)
  • consommation énergétique directe (chauffage, éclairage, alimentation électrique du matériel informatique)
  • consommation indirecte d’électricité (activation de centres de serveurs lors des recherches en ligne, échanges de courriels)
  • achats divers (autres livres alimentant la réflexion, neufs ou d’occasion, consommables de l’imprimante)
  • déplacements (en bibliothèque, en librairie, rencontre avec l’éditeur, opérations de lancement lors de la sortie du livre)

Fabrication

  • mise au point des épreuves
  • matériaux d’impression (papier, encre, part de matériel électronique pour la version numérique)
  • emballages de protection et d’expédition

Distribution

  • transport de l’imprimerie vers les librairies, en passant par le centre logistique du distributeur
  • acheminement postal des exemplaires promotionnels (dits « service presse »)
  • mise à disposition de l’ouvrage dans les linéaires des librairies et en ligne
  • déplacement spécifique des clients pour se rendre en librairie (ou livraison à domicile des commandes)

Lecture

  • part d’éclairage artificiel ou recharge de la batterie de la liseuse
  • changement de comportement de certains lecteurs consécutif à la lecture du livre

Retours média

  • déplacements de l’auteur pour réaliser des entretiens avec des journalistes
  • fonctionnements d’ordinateurs et de serveurs d’internautes pour lire, écouter ou visionner, des médias en rapport direct avec le livre
  • changement de comportement de certaines de ces personnes consécutif à ces publications.

Mise au rebut

  • collecte de déchets
  • mise en décharge, recyclage ou incinération du livre.

Résultats

Chacun des postes a été documenté en l’associant à des quantités estimées, depuis le fonctionnement du bureau de l’auteur jusqu’au trajet spécifique du client final (et aux appareils des internautes et des téléspectateurs).

Le tirage final de l’ouvrage, comme le nombre de versions numériques vendues, sont évidemment deux grandes inconnues lors de la parution, mais qui sont progressivement affinés.

L’expression des résultats en « émissions par livre » demeure proportionnelle au poids ou au nombre de livres fabriqués et effectivement commercialisés.

bc livre par poste c

Le total est ici d’environ 2,4 kgCO2e par livre vendu avant lecture.

L’emploi des matériaux (notamment du papier, qui représente l’essentiel des « intrants ») est un poste important, mais pas nécessairement déterminant au regard du seul poste non valorisé : le comportement ultérieur du lecteur.

Dans le cas analysé, l’auteur et l’éditeur partagent à parts égales l’essentiel de l’impact. Celle du lecteur est moindre, du moins tant que son comportement de consommateur n’est pas influencé.

bc livre par acteur c

L’impact du comportement ultérieur du lecteur

Il s’agit d’estimer dans quelle mesure la lecture d’un livre, et ses retours média, peuvent avoir des répercutions sur des activités ultérieures directement imputables à l’existence du livre. Autrement dit, pour chacun des lecteurs (mais aussi des internautes et des téléspectateurs), que serait-il advenu de différent les jours et les mois qui suivent si ces derniers avaient eu une occupation habituelle à la place ?

Ainsi, dans le domaine du tourisme, un ouvrage faisant l’éloge de vacances bon marché aux antipodes orientera les destinations de lecteurs hésitants vers une forte consommation de transport aérien, avec plusieurs tonnes de CO2e par passager à la clé.

A contrario, un livre faisant découvrir les régions limitrophes, qui convaincrait des vacanciers prêts à entreprendre un voyage lointain de reconsidérer leur destination de voyage vers des territoires proches, pourrait se prévaloir d’émissions évitées tout aussi importantes, cette fois dans l’autre sens.

Il en serait de même dans le domaine culinaire, en opposant les ouvrages incitant à la consommation de viande à ceux prônant une bonne part de végétarisme.

Par extension, un lecteur peut aussi s’appuyer sur l’argumentaire d’un livre pour convaincre son entourage d’agir différemment, conséquences qui peuvent s’additionner en cascade.

Certes, de nombreux ouvrages peuvent être considérés comme neutres sur ce poste (tels la grande majorité des romans ?), et nous n’avons abordé ici que le cas d’un seul ouvrage. Du point de vue de l’éditeur, l’impact est largement démultiplié, avec un résultat très variable selon ses choix de publication… et sa capacité à s’adresser à des lecteurs non convaincus !

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